1 – La fin de l’ère coloniale
Dès le début de la colonisation, la politique de santé a eu le souci constant de s’adapter aux contingences locales. Cette adaptation reposait sur une priorité accordée à la recherche et à l’élimination progressive du système de santé traditionnelle avec l’influence des féticheurs et guérisseurs. Cette politique était guidée par le souci majeur de porter les interventions de la santé jusqu’aux endroits les plus reculés du pays.
Nous sommes alors à l’époque des expéditions des missions de santé. Celles-ci étaient composées de : un médecin ou un agent sanitaire, des aides infirmières, des microscopistes et des porteurs. La population des villages ou agglomérations se rassemblaient, sous la responsabilité des chefs locaux (Loka & Lobho, 1998 :125).
A partir des années 1941, le gouvernement colonial a adopté la politique de construction des centres de santé et des hôpitaux de référence dans les chefs-lieux de tous les 85 territoires du pays. Les centres de santé portaient la dénomination péjorative de « noir », parce que ne pouvaient s’y faire soigner que les populations autochtones. Les hôpitaux de référence portaient la dénomination des « cliniques » et n’étaient exclusivement réservés qu’aux colons.
La politique de santé de la colonisation, après la maîtrise au seuil de l’acceptable des pathologies tropicales, tournait aussi sur le maintien de l’hygiène publique et l’éradication systématique des maladies comme la maladie du sommeil, le paludisme, la peste, et la fièvre jaune qui écumaient dans les grandes agglomérations et de l’hygiène publique.
Étant donné que le gouvernement colonial constata un nombre élevé d’enfants atteints de la paralysie cérébrale et de l’épidémie de la poliomyélite, il initia, en partenariat avec l’YMCA, la créa le centre de rééducation pour handicapés physique qui était inauguré en 1957. (Luyeye, 2004 : 21). Le tableau ci-dessous nous présente quelques données sur le personnel de santé.
N° |
Nombres d’hôpitaux |
Nombre de médecins |
Nombres d’aides-soignantes |
Nombre des sages-femmes |
Clinique universitaire |
245 |
241 |
2451 |
5124 |
1 |
Source : Minsant, Stratégie de renforcement du système de santé, Kinshasa, 2010, p12.
Ce tableau nous permet de comprendre qu’à l’accession du pays à l’indépendance, le système de santé mis en place par le pouvoir colonial était bien au point. L’on a constaté un recul de la médecine traditionnelle, avec les féticheurs de 80%. Les formations médicales étaient bien équipées. L’accès aux soins de santé était abordable. Les médecins formés à la métropole étaient motivés. Les produits pharmaceutiques étaient toujours ravitaillés.
Notons que la femme et la jeune fille étaient au centre des préoccupations de la politique sociale. L’accent quant à ce, était plus placé sur les questions de la santé de reproduction. Il s’agissait précisément de voir dans quelle mesure l’on pouvait aider les femmes à prévenir les grossesses non désirables, à lutter contre la mortalité infantile et les cas de décès à la maternité.
Selon l’étude menée par le Ministère de santé sur la stratégie de renforcement du système de santé, la politique de la santé durant cette période était plus ou moins stable et avait connu une extension très rapide à partir de 1949. De 1950 à 1959, les dépenses relatives à la santé passeront de 290.000.000 de francs à 2.400. 000.000 francs belges Le nombre des médecins et des aides-soignantes sera très élevé. Plusieurs analyses sont d’avis que le système de santé mis en place par la colonie était au-dessus de la moyenne. Cela était remarquable à travers l’élimination systématique des pathologies qui régnaient dans la colonie, l’accès facile aux soins de santé et le nombre élevé du personnel soignant et la disponibilité des produits pharmaceutiques. (Minsant, 2010 :18).
L’on peut déduire que la force de ce système de santé mis en place par l’Etat colonial résidait sur la qualité du personnel soignant composé d’environ 80 % des colons et des moyens mobilisés à cet effet. Des soins de qualité accessible au plus grand nombre et à un coût démocratique était donc le point fort de la politique sanitaire des belges. Notons cependant que la pratique de l’art et de la science de soigner étaient une chasse gardée des colons. Cette situation sera à la base de la débâcle du système de santé après le départ précipité des belges à l’indépendance.
2 – L’ère post indépendance 1960-1965
La crise congolaise post indépendance est une période de troubles politiques et de conflit ayant eu lieu en RDC entre 1960 et 1965. La crise commence presque immédiatement après l’indépendance du pays et prend fin avec l’accession à la présidence de Mobutu en 1965. Cette période était caractérisée par la mutinerie des militaires, l’agression belge, l’assassinat du premier ministre Lumumba, les sécessions, des rébellions, les départ massif des colons, l’agression du pays par le Belgique, l’intervention des nations Unies pour sécuriser la population locale, etc.[1]
Finalement, les cinq gouvernements qui se sont succédé en cinq ans n’ont pas pu concevoir, chacun en ce qui le concerne, des politiques sociales en faveur de la population. Tous les efforts du pouvoir public étaient consacrés au rétablissement de la paix et à la recherche de l’unité nationale, volée en éclat. En outre, le pays faisait face à des difficultés financières étant donné qu’il était privé des ressources minières à cause de la sécession des trois provinces minières et devrait par ailleurs faire face à l’effort de guerre.
Ainsi, après l’indépendance, le pays qui était censé hériter des bienfaits de l’époque coloniale dans plusieurs domaines sera pratiquement bloqué. Le départ massif et précipité des belges a paralysé tous les secteurs clés. L’enseignement et l’éducation, deux secteurs qui étaient totalement assurés par les colons ont connu brusquement un dysfonctionnement. Les enseignants et les médecins belges, du reste qualifié, ont été du jour au lendemain remplacés par des congolais sans niveau requis. Livrant ainsi ces deux secteurs sensibles entre des mains inexpertes.
Le secteur de l’emploi et de logement n’avait pas bougé non plus dans la mesure où la situation de la guerre chronique rendait difficile la mise en place des projets dans ces deux domaines. La dépréciation de la monnaie, l’augmentation du coût de la vie et le taux élevé du chômage étaient les caractéristiques de cette période. Cette situation trouve son fondement dans le manque de préparation des hommes politiques, la carence quasi-totale des cadres, les querelles tribales, les ambitions démesurées des certains leaders politiques et les convoitises internationales.
La Belgique était au centre de la manouvre de la déstabilisation du pays à travers, notamment la manipulation des acteurs politiques, cristallisée surtout par la sécession katangaise et l’envoie des parachutes belges sous le prétexte de protéger des sujets Belges résidents encore au Congo. Se souvenant de cette période, l’universitaire congolais Loka affirme : « les gens se demandaient quand est-ce que l’indépendance prendra-t-elle fin ? »[2]
Accusée par le gouvernement congolais d’agression et d’ingérence, la Belgique, selon plusieurs études[3], mettra tout en œuvre pour rendre le pays ingouvernable. Ce qui préjudicia tous les projets de développement initiés par les colonisateurs qui étaient en cours d’exécution et rendait finalement impossible d’en initier d’autres. C’est dans ce contexte de chao que le Congo sera finalement sous l’assistance de l’ONU. C’est la Mission de l’Onu au Congo qui tentera d’organiser des interventions pour restaurer la paix et instaurer un nouvel ordre politique. Devant la persistance de la misère et la dégradation constante de la situation du pays, un changement politique par la force est alors soutenu par les puissances occidentales.
3 – La période du monopartisme et de l’ajustement structurel : 1965-1990
Le gouvernement du Zaïre a consacré beaucoup d’efforts pour maîtriser le secteur de santé, en concevant et mettent en œuvre des politiques sociales y relatives. Le ministère se santé publique avait pour mission de lutter contre les maladies endémiques et d’offrir les soins de santé de qualité à la population. Plusieurs programmes seront mis en place au sein de ce ministère : programme national de lutte contre la malaria, programme élargie de vaccination, programme national de lutte contre la peste, programme national de santé maternelle, etc. Tous ces programmes étaient financés par le gouvernement afin de répondre aux questions de la santé publique. Tous ces programmes ont été directement financés par le gouvernement qui a consacré, jusqu’en 1975, 21% du budget national au secteur de la santé (Dosimo, 1995 :41).
Avec l’apparition de la pandémie de SIDA, le gouvernement zaïrois va créer le Programme National de Lutte contre le Sida, qui fonctionnera également avec l’appui financier des partenaires de santé, avec comme mission de prévenir la propagation du VIH.
Par ailleurs, en 1973, à l’issu du plan général de réforme du système de santé au zaïre, le gouvernement a pris des mesures suivantes, notamment : la subdivision du pays en 145 zones de santé, la construction des 90 hôpitaux généraux de référence et des centres de santé, l’octroi de 200 bourses d’études pour former les médecins à l’étranger et la construction de l’Ecole de Santé Publique. (Dosimo, 1995 :257).
A l’instar de l’éducation, la femme était une fois de plus au cœur du système de santé. D’abord au niveau de la formation de la jeune fille comme infirmière. L’option infirmière et accoucheuse était quasiment réservée à la femme dans tous les instituts techniques médicales du pays. Les nombres des étudiantes en médecine était de plus en plus croissant. (Dosimo, 1995 :264). Par ailleurs, la question de la santé maternelle était systématiquement au cœur des préoccupations des gouvernants.
Cependant, des problèmes de financement de la politique de santé vont commencer à se poser à partir des années 1980. Le gouvernement fera appel à l’aide internationale et aux investisseurs privés. C’est à cette occasion que plusieurs privés, profitant de l’éclatement du monopôle dans le secteur de santé, vont se lancer dans son exploitation. C’est le retour de l’église catholique dans le secteur. Cette tendance a nui à l’équité et à l’accès au système de soins des populations Les ménages devraient désormais supporter la quasi-totalité des charges financières des services de santé. Et cela constitua un réel obstacle d’accès aux soins. La médecine traditionnelle qui était condamnée et pratiquement supprimée par le régime colonial avait de nouveau droit de cité.
4 – Période de transition politique 1990-2006
Incapable de prendre en charge son système de santé, le pays avait tendu la main aux partenaires privés. Le programme de lutte contre le sida, le programme élargi de vaccination ou celui de la lutte contre le paludisme étaient pris en charge par des partenaires.
De même, le gouvernement libéralisa le secteur de santé. Ainsi, des investisseurs privés pouvaient-ils désormais investir dans le secteur.
Ne recevant plus des frais de fonctionnement, les hôpitaux publics étaient autorisés de fonctionner et de rémunérer le personnel avec les ressources propres. Un corps des inspecteurs de santé devrait veiller à la bonne gestion des formations hospitalières publiques.
En 2004, après la réunification du pays, l’on pouvait dénombrer 515 zones de santé, dont 35 à Kinshasa. Le nombre exact d’hôpitaux et du personnel soignant n’était toujours pas connu (Dosimo, :1995 : 321).
Par contre, la guerre dans l’Est a eu un impact négatif sur la femme et ses conditions vie. Dans leur étude sur l’insécurité dans l’est, Berghezan et Zeebroek ont retenu l’exacerbation des cas de viol des femmes de tout âge, l’enterrement des femmes vivantes, l’esclavagisme sexuel et des libations de tout genre comme des faits qui ont porté atteinte à la vie des femmes, utilisées alors comme arme de guerre (Berghezan & Zeebroek, 2011 : 12). Même alors, les différents gouvernements n’ont pas pris des mesures idoines pour prendre à bras le corps la problématique de la femme dans la guerre. C’est plutôt la communauté internationale qui s’est mobilisée, des ONG locales et quelques individualités, dont le prix noble Denis Mugwege, pour venir en aide à la femme congolaise[4]. L’est de la RDC est même proclamé « capitale des viols » de la femme (Berghezan & Zeebroek, 2011 : 13).
Au cours de cette période, nous l’avons déjà relevé, les politiques sociales étaient en désuètes. A l’instar des professionnels de la craie, ceux de la santé étaient aussi soumis au régime des irrégularités dans le paiement des salaires et de leur modicité. D’où la constance des mouvements de grève qui paralysèrent le secteur de la santé aussi. Se faire soigner convenablement était devenu un luxe réservé qu’à une catégorie des personnes. Plusieurs congolais se tournaient désormais vers la médecine traditionnelle. D’où l’implosion du nombre des cabinets de médecine traditionnelle dans les villes et cités du pays. Ce phénomène qui tardera à être réglementé ne sera pas sans conséquence sur la santé communautaire. Des abus et gâches seront constamment signalés sans que l’Etat ne prenne le problème à bras le corps.
5 – La période post-transition et post-conflit : 2007-2018
Au cours de cette période, le gouvernement a initié et implémenté également plusieurs politiques dans le secteur de la santé. Relevons aussi que la gestion de la santé et de l’hygiène publique a été aussi confiée aux gouvernements provinciaux. Même si l’orientation dudit secteur demeura sous le contrôle du gouvernement central.
La reprise en main du contrôle du secteur de la santé qui avait échappé au gouvernement pendant la guerre était l’une des priorités du gouvernement. Ainsi le ministère de la santé publique initiera-t-il l’élaboration du document stratégique de la santé publique. Ce document fait l’état des lieux du secteur et envisage des objectifs à atteindre et des actions à mener pour son redressement. Parmi les actions menées, nous pouvons citer la réhabilitation des hôpitaux généraux de référence et des centres de santé de par le pays. Au total, 613 formations médicales étaient réhabilitées et équipées dans toutes les provinces pour un coût total de 86 millions de dollars. Cette réhabilitation a permis aux hôpitaux, selon le Dr. Olu Ilunga, Secrétaire Général de la Santé, d’offrir des soins de qualité surtout dans les milieux ruraux où les soins de santé étaient un luxe. C’est dans ce cadre qu’a été réhabilité l’hôpital du cinquantenaire, la formation hospitalière la plus grande et la mieux équipée du pays, pour un coût global de 120 millions de usd[5].
A partir de 2009 aussi, confirme le secrétaire général de la santé, le gouvernement a lancé l’opération de régularisation de la rémunération des 15 000 infirmières qui étaient non payées depuis une dizaine d’années. En même temps, le traitement salarial des médecins avait triplé.
En 2010, pour faire face à la résurgence de l’épidémie d’Ebola dans le nord et l’Est du pays, le gouvernement a renforcé les capacités de réaction de l’INRB. Toute une politique mise en place pour lutter contre cette épidémie qui avait déjà causé près de 800 morts.
En 2012, le gouvernement a lancé l’ambitieux programme de construction de 1000 centres de santé sur l’ensemble du pays, soit 90 écoles par provinces, excepté la ville de Kinshasa où on a construit 100 hôpitaux, pour un coût global de 100 millions des usd. Ainsi que celle des morgues dans les tous les hôpitaux de référence. Le gouvernement a construit des pharmacies de référence dans tous les 145 territoires. Pour assurer le ravitaillement en médicaments dans les hôpitaux et centres de santé.
D’autres politiques dans ce secteur sont, notamment l’extension de la mutuelle de santé des enseignants par le Ministère de l’Enseignement Primaire et Secondaire, en collaboration avec la délégation syndicale, l’élaboration du projet de loi sur la couverture sanitaire universelle par le Ministère de la Santé Publique, la mise en place des filets sociaux et l’octroi de la carte d’indigence par le Ministère des Affaires Sociales et Actions Humanitaires, la mise en place des mutuelles de santé de l’Inspection Générale de la Police Nationale Congolaise, la création de la plateforme des organisations promotrices des mutuelles de santé (POMUCO) pour contribuer à la démarche de couverture sanitaire universelle.
Il en est de même pour le système de santé. Les meilleures formations hospitalières étaient des œuvres des privés – des indiens et des chinois – que seuls ceux qui ont suffisamment des moyens pouvaient fréquenter
6 – La période de COVID-19
Au niveau de la santé, le gouvernement a créé un Secrétariat technique du Comité multisectoriel de lutte contre le Covid-19. Cette structure a pour rôle d’appuyer le travail sur terrain, et informer l’opinion aux niveaux national et international sur la situation du Coronavirus en République démocratique du Congo.
Le ministère de la santé a mis en place le site : www.stopcoronavirusrdc.info » et la chaine de radio et télé « stop covid » afin de lutter contre la désinformation qui perturbe les activités de riposte.
Le gouvernement s’est organisé à prendre en charge l’ensemble des soins de santé de toute personne atteinte de la COVID-19, en plus de la généralisation du test de dépistage dans des formations médicales.
[1] Lire à cet effet David REYBROUCK, Congo une histoire, Bebel, Amsterdam, 2012, p364-424.
[2] De nos entretiens avec Loka ne Kongo.
[3] Lire à cet effet, Joël MUKUMADI, La crise au Congo-zaïre. Le Belgique au centre du drame congolais, CIEDOS, 1986, CAPELAERE Pierre, Congo (RDC). Puissance et fragilité, L’Harmattan, Paris, 2011, REMILLEUX JEAN LOUIS, Mobutu. Dignité pour l’Afrique, Albin Michel, Paris, 1989, N’GBANDA NZAMBO-KO-ATUMBA, Ainsi sonne le glas ! Les derniers jours du Maréchal Mobutu, GIDEPPE, Paris, 1998.
[4] Lire à cet effet : IN KOLI et All, Le viol : Une arme de terreur. Dans le sillage du combat du docteur Mukwege, GRIP, Paris, 2018.
[5] De nos entretiens avec le Dr. Ilunga.